Flower

Jeux Vidéo : La Passion des Émotions  

Pages 48 – 55
Cet ouvrage a été rédigé au printemps/été 2010  

Publié le 04/03/2011

LEVEL 1 : « Au cœur du jeu »

Des chroniques, et des souvenirs

L’art est un concept vaste et flou, mais à mon avis, il repose avant tout sur la communication entre l’œuvre et son public.

Si vous vous efforcez à retranscrire une émotion le plus sincèrement possible, votre travail résonnera et touchera beaucoup de gens.

Chez thatgamecompany, nous voyons le jeu vidéo comme un moyen d’expression artistique. C’est pour cela que nous tenons à transmettre ce genre de sentiments grâce à du visuel, du son et de l’interaction. Dans nos jeux, nous nous intéressons aux sentiments universels que différentes cultures et personnes pourraient partager.

La raison pour laquelle nous décrivons Flower comme un poème interactif c’est parce qu’il a été conçu pour être interprété. Quand les scientifiques créent des choses utiles, les artistes motivent l’inspiration.

Le but de nos productions est d’étendre à notre manière le spectre des expériences et des émotions que peut nous offrir le jeu vidéo.

Jenova Chen – créateur de Flower

Co-fondateur du studio thatgamecompagny

29/04/2009, propos extraits d’une interview publiée sur le site Gameweb.fr

L’art est à la fois dans les yeux du créateur, et du spectateur.

Et de la même manière que ces deux acteurs vont évoluer et changer, il en sera de même pour la définition et la perception de l’art.

Kellee Santiago – productrice de Flower

Co-fondatrice et présidente du studio thatgamecompagny

19/04/2010, propos tenus sur le site officiel thatgamecompagny.com

Flower [2009] : Art floral

Pas de texte. Mais une histoire contée, en filigrane, par vos actes.

Pas de voix. Simplement le son du vent.

Pas qu’une musique. Mais une ambiance musicale que vous agrémenterez au gré des tumultes d’un pétale de fleur embrassant d’autres pétales de fleurs.

Pas onéreux. Il vous en coûtera moins de 8€ en téléchargement sur le PlayStation Store.

Pas de personnage à contrôler. Juste une brise.

Pas d’ennemis. Mais une lutte pour la vie.

Pas de limite de temps. Sauf celle que vous vous imposerez, flânant, virevoltant, jusqu’à ce que la pollinisation de ce monde monochrome ait atteint son but.

Cette histoire, il vous faudra la vivre jusqu’au bout.

Pour en comprendre le message.

Simple harmonie

Flower est un ovni dans le paysage vidéoludique.

Mais pas seulement.

Il est anticonformiste.

Mais pas seulement.

Il est différent, unique.

Mais pas seulement.

Imaginez que tout ce que vous pensiez connaître depuis tant d’années, toutes ces vérités, tous ces mécanismes, ces automatismes, ces finalités. Que tout ceci est balayé. Que cela n’existe plus.

Terminées les quêtes de Link, les chevauchées d’Epona, les parties de pêche, et le duel contre Ganondorf pour sauver la princesse Zelda[1].

…un gameplay si épuré…

Envolées les cinématiques verbeuses pour démêler les complexes imbrications politico-familiales de ce cher Solid Snake[2].

…une narration si subtile…

Flower nous offre l’essentiel. Il redéfinit la simplicité du jeu vidéo sans laisser de coté la richesse narrative. Il la place même au cœur du jeu.

Il nous réveille, comme il nous éveille. Un concentré de pureté.

La simplicité des mouvements. La liberté des déplacements. La narration faite d’actions.

Cela commence manette en mains. Doucement.

Quelques pots emplis de terre sont alignés devant une fenêtre. Une fleur dans chaque pot.

A chaque fleur son périple, et une histoire à insuffler.

On se dirige alors vers l’une d’elle, la première accessible, en mimant le mouvement pour s’en approcher. Nos doigts, libérés de toute contrainte, pressent timidement – au choix – un bouton, une gâchette ou un stick analogique. Si on se rapproche suffisamment, l’histoire de cette fleur va pouvoir nous être contée.

Quelques images défilent, illustrant le contexte. Puis disparaissent.

On ouvre les yeux.

Les brins d’herbes se relèvent et se couchent, ondoyants au gré du vent.

Et on observe cette fleur, seule. Au milieu. Ici. Juste ici. Tout prêt.

On presse, tendrement. On souffle, un peu. On souffle comme chacun l’a déjà fait au moins une fois dans sa vie, pour voire s’envoler une à une les aigrettes soyeuses d’un pissenlit. Beauté éphémère.

Pas d’aigrette ici, mais un pétale qui se détache, qui quitte pour toujours sa fleur. Sa dernière histoire commence. A la rencontre d’autres pétales, d’autres fleurs. Avec comme destin la pollinisation de terres de plus en plus mornes, de moins en moins vivantes. Redonner de la couleur, ou faire renaître la lumière. Et faire éclore une autre fleur.

Les premiers instants passés avec Flower sont inoubliables. Dès que le pétale se désolidarise, poussé par notre impulsion, on découvre le déplacement dans l’espace via la reconnaissance de mouvements de la manette. On hésite, on tâtonne. Des notes de musiques se mêlent aux timides gémissements du vent. Puis, rapidement, on commence à prendre confiance. On accélère, on monte, toujours plus haut pour redescendre en piqué et frôler le sol, pour voir s’écarter devant nous les centaines de brins d’herbes en signe de révérence. L’assurance aidant, on se risque à percuter d’autres fleurs, chaque contact écrivant de nouvelles notes sur cette exquise partition musicale. Et on finit par former une longue farandole colorée, serpentant de plus en plus loin dans le sillage de notre premier pétale – toujours en tête.

Dans Flower on sait prendre son temps. On ose prendre son temps. Sans remords.

On apprend à s’arrêter. Car rien ne presse.

On prend le temps de regarder cette prairie cabossée, imparfaite, vivante des mouvements reposants de ces dizaines de milliers d’herbes hautes.

On apprend à écouter, sentir cette douce brise qui berce notre inexorable chute.

Et on ressent l’apaisement. L’harmonie. La sérénité. Sans aucune contrainte que celle dictée par notre propre envie de continuer le récit, maintenant ou plus tard.

On respire. On sent. On ressent. Puis on se décide enfin. Repartir.

Alors on file de plus belle, mimant une direction d’un geste, faisant éclore de nouvelles fleurs qui nous offrirons en retour de garnir un peu plus notre ondulant bouquet, semant la vie tout autour de nous.

Art, populaire

Le propos de Flower, chacun y trouvera une résonance particulière. Toute personnelle. Dans mon expérience, Flower m’a projeté en plein cœur ce sentiment puissant du poids de la Vie. De l’importance de la Vie, quels que soient les obstacles, quelle que soit sa propre fragilité. De toujours avancer, dans les moments de joie, de doute, dans la tempête, l’obscurité ou même la peur : conserver l’espoir de cette vie qu’il ne tient qu’à nous de continuer à faire avancer, progresser, briller, tournoyer.

Flower m’a ému. Il m’a fait m’envoler et rêver. Tout à fait conscient. Des étoiles dans les yeux.

Et chose inédite, il m’a fait entrevoir le beau.

Mais pas simplement lors de la contemplation, comme une œuvre dans un musée qui vous toucherait de plein fouet, mais dont la distance, forcée, vous en interdirait la parfaite fusion.

Flower est un jeu vidéo, et seul un jeu vidéo aurait pu arriver à ce degré de symbiose des sens avec son medium. Est-ce de l’art ? Peut-être bien.

Un moment particulier du jeu me procure ce sentiment unique.

A chaque fois.

Le monde de la seconde fleur. La fleur rouge.

Ce monde vaste et vide. Aux teintes grisâtres. Fade. Passé la première zone, qui reverdit peu à peu, nous arrivons sur un second espace où l’herbe va désormais aussi revêtir des couleurs bien plus vives et improbables sur notre passage. Puis le ciel s’assombrit, et une pluie éparse commence alors à tomber. Nous arrivons enfin, sur ce dernier tableau où trône une palette de trois puits de couleur. Bleu. Jaune. Rose.

La mélodie change. Mélancolique, empreinte de nostalgie.

Chant d’une nature en quête de couleur.

A chaque puits libéré, à chaque couleur éveillée, tous nos pétales se colorent à l’unisson. Et pendant un court instant, quelques fugaces secondes, notre serpent floral devient pinceau. Chaque brin d’herbe frôlé conserve notre couleur, et prend vie sur cette immense peinture végétale.

Passer du bleu, au jaune, puis au rose. Dessiner notre sillon et laisser notre trace sur ce paysage, avec cette musique si saisissante, monter dans les airs et suspendre son vol, en tournoyant très lentement avant de plonger à nouveau vers une autre couleur.

Ce moment là, mélange parfait de beauté visuelle, auditive, et de totale liberté artistique fut comme une révélation. D’une intense, vibrante, pure émotion. Comme pénétrer, plonger en apnée dans une toile de maître, le corps tout entier. En étant à la fois le pinceau, l’artiste, la toile, la peinture. La véritable fusion parfaite avec une œuvre, pendant quelques minutes, jusqu’à étancher sa soif.

Ce sentiment, très subjectif, bref, mais pourtant systématiquement reproduit au même moment, me laisse penser que Flower réussit à s’approcher du beau, à toucher au sublime.

S’approcher de l’œuvre d’art, active.

De l’art accessible à tous. Non joueur ou joueur, homme, femme ou enfant, jeune ou vieux. Qui peut s’apprécier quelque soit notre passé, nos connaissances, notre sensibilité : ne serait-ce qu’en volant, tout simplement, libre comme l’air.

Chacun se retrouve nu face à Flower. C’est une expérience avant d’être un jeu vidéo. Un jeu vidéo avant d’être une œuvre d’art. Et peut-être bien les trois à la fois. Difficile à décrire, plus évident à vivre, Flower repose sur une ambivalence. A la fois régit par une délicate simplicité à tous les niveaux, il provoque de puissants, profonds, raffinés et parfois complexes tourbillons émotionnels.

Jenova Chen, son auteur et co-fondateur de thatgamecompagny, le dit lui-même sur son site : il souhaite « élargir le spectre émotionnel du jeu vidéo […] et comme Hayao Miyazaki l’a fait pour l’animation», il souhaite « être l’un de ceux qui élèveront le jeu vidéo vers une certaine forme d’art and play qui puisse être appréciée par chaque Etre Humain ».

Avec Flower, Jenova Chen montre qu’il est assurément sur la bonne voie, et que ses ambitions étaient loin d’être démesurées. Une œuvre majeure, tout simplement.

Comment se procurer Flower ?

Flower est disponible sur PlayStation 3, en téléchargement sur le PlayStation Store.

Il est sorti en 2009 et a été développé par le studio thatgamecompagny, édité par Sony.

Copyright des images : Sony – thatgamecompagny. Une prise du vue est issue du site www.gamekult.com.


[1] Dans la célèbre saga éponyme : The Legend of Zelda

[2] L’un des personnages principaux de la saga Metal Gear Solid.

[vidéo ajoutée uniquement dans ce contexte « web » de publication]

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  1. Stéphanos
    21 mars 2011 à 00:40

    Mon histoire ne s’arrête pas à Shadow of the Colossus ou bien encore à Ico. Car Grâce à toi, j’ai ensuite découvert « Flower ». ! ! Merci ! !

    Appel à tous les détenteurs de PS3 si vous lisez ce message, ruez-vous sur ce jeu unique, ce concentré d’oxygène à portée de main qu’est Flower.
    Disponible sur le Playstation Store, la démo, vraiment bien, est gratuite, le jeu complet est à 7,99euros. Il vaut le coup ! Vraiment !

    Il faut y jouer pour le ressentir soi-même.

    Désolé Ippo, Denis, de jouer ce mauvais vendeur. D’autant que ta page en parle si bien.. Je suis encore dans ce stade primaire de celui qui a découvert Flower il y a peu. Presque en même temps que ce terrible tremblement de terre/Tsunami au Japon… Pendant une longue suite d’épreuves pour moi. (Je comptais t’écrire à leur fin.) Et Flower m’a accompagné.

    Je reviens à la découverte de la page en question. Découvrir par écrit un jeu que l’on ne connait pas.
    Ce n’était pas évident. Ce jeu a l’air tellement ..bizarre. Qu’est-ce que c’est que cette histoire de fleurs, de pétales qui se « désolidarise », de brise, « d’harmonie ». Qu’est-ce que c’est que histoire niaise où il est question de « Redonner de la couleur, ou faire renaître la lumière. Et faire éclore une autre fleur. » Comment un jeu peut-il « projeter en plein cœur ce sentiment puissant du poids de la Vie » ?
    Tout cela, je l’ai compris et vécu en jouant à Flower. Mais je ne l’avais pas ressenti à ma 1ère lecture. Ma curiosité a été piquée, ce qui m’a d’ailleurs amené à essayer le jeu, mais je restais fermé. Et c’était complètement de ma faute. Aujourd’hui tout prend sens, je redécouvre complètement cette page. Je vois à quel point, tout était là.
    J’ai pu me procurer la musique de Flower. Je l’écoute maintenant tous les jours, le soir, la journée. ça fait du bien. Je laisse ce commentaire en suspens, il me faut aller dormir, mais je je reviendrai ici.
    Encore merci

  2. ippo
    21 mars 2011 à 09:41

    Je suis ravi d’apprendre que ce texte ait éveillé ta curiosité au point de tenter l’expérience Flower par toi-même !
    Et tu n’es pas un mauvais vendeur, au contraire : tu démontres que ton acte d’achat ne t’a pas déçu. C’est efficace comme méthode :).
    Mais tu évoques aussi de quelle manière Flower peut accompagner une personne lorsqu’elle vit des moments difficiles, de stress ou d’angoisse.
    Le temps d’une brise.
    C’est très vrai. Et en cela Flower se veut aussi une expérience Zen.
    Je n’ai d’ailleurs pas employé ce mot dans le texte, volontairement, car son utilisation familière le rapproche trop souvent d’un synonyme de « relaxation / détente ».
    Le Zen c’est descendre le cours de la vie sans naviguer à contre-courant, ni être emporté par ses tumultes. Juste vivre l’instant tel qu’il est, et l’accepter.
    A certains moments, Flower en est, pour moi, une parfaite illustration.

    Après avoir vécu le jeu manette en mains, la bande originale est un excellent moyen pour s’y replonger directement. Je l’ai également acheté sur le PlayStation Store et en profite aussi très régulièrement.

    Encore merci à toi, de faire résonner encore un peu les textes à ton passage.

    PS : l’ajout de cette vidéo afin de remettre l’expérience dans son contexte est une bonne idée. Je me refusais jusqu’alors à modifier le contenu original de « l’ouvrage » afin de le diffuser tel qu’envoyé à l’éditeur.
    Mais tu démontres par l’exemple que l’ajout d’une vidéo est un plus dans cette version Internet. Il est possible que j’applique cela aux textes du Level 1 en toute fin de texte, avec, pourquoi pas, une bande annonce du jeu en question.

  3. 9 avril 2011 à 23:18

    Bonjour,

    Je parcours avec intérêt et plaisir votre site mais je suis toujours un peu surpris de voir à chaque fois que l’on aborde la question de l’art de toujours retrouver les mêmes arguments mous des créateurs de Flowers pour défendre la question de l’art et des jeux videos.

    Il y a des définitions précises de l’art et la philosophie fournit tout un travail d’analyse qui ne permet pas de dire que cela se passe simplement dans les yeux du spectateur. Si vous regardez une croute ou un poster new age d’un dauphin qui fait des ronds dans l’eau ce n’est pas de l’art même si le spectateur et le créateur sont animés des meilleurs intentions du monde.

    Si cela vous intéresse il y a en résumé ici la démarche d’un des articles fondateurs de la philosophie esthétique sur la définition de l’art – cela permettra de voir que comme Kelly Santiago qui fait de bons jeux il y a aussi des gens qui produisent des concepts clairs. Son discours me dérange car elle se sent vraiment animé d’une prétention démentielle pour un jeu qui est en un sens avant tout un jeu d’ambiance. Je suis pour ma part beaucoup plus impressionné par le côté conceptuel de certains jeux flash comme The Company of myself.

    Je vous laisse la référence de l’article :

    http://freakosophy.over-blog.com/article-jeux-video-philosophie-analytique-et-close-combat-71225049.html

    Bonne soirée

    Freako

    • ippo
      11 avril 2011 à 10:32

      Bonjour Freako,

      Merci à vous d’avoir pris le temps de laisser un commentaire et de déposer un article vraiment très intéressant au sujet du lien (ou de l’absence de lien possible) entre l’art et le jeu vidéo.

      Le fait d’avoir établi, dans les textes de cet ouvrage, un rapprochement (hâtif et sans réelle démonstration sur ce point en particulier ?) entre certaines expériences vidéoludiques et l’art, était fondé essentiellement sur l’intuition dictée par les expériences elles-mêmes. Aucunement sur des connaissances objectives sur l’art et ses composantes essentielles.

      Alors, pourquoi, me direz-vous, avoir tenté d’établir de tels liens, sans les expliquer, à certains endroits de l’ouvrage : parce que j’estimais que cette idée transcendait celle du « simple divertissement », fortement ancrée dans l’esprit d’une partie du lectorat auquel je destinais ces textes. Les non-joueurs.
      Comme vous le dites, les joueurs s’en moquent finalement, que le jeu vidéo soit de l’art ou non (et qu’il « puisse », ou non, être défini comme telle, ce que vous précisez comme étant impossible par sa nature interactive et donc non contemplative notamment).
      Mais il me semble que même si je suis resté assez évasif sur la question de l’art en tant que tel, dans cet ouvrage, ce que j’ai souhaité véhiculer à travers les expériences de jeu peuvent réveiller ou faire entrevoir ce qui constitue notre perception intime de ce que peut être « l’art ».
      Alors, il n’y aura pas de définition précise de ce lien intime qui pourrait naître entre art et jeu vidéo, mais certains textes ou parties de texte du contenu même de l’ouvrage sont d’une certaine manière là pour tenter de s’en charger.

      Si l’on reprend la définition de l’art, sur Wikipédia :

      L’art (du latin Ars, artis « habileté, métier, connaissance technique ») est une activité humaine, le produit de cette activité ou l’idée que l’on s’en fait, consistant à arranger entre eux divers éléments en s’adressant délibérément aux sens, aux émotions et à l’intellect.
      Les définitions de ce concept varient largement selon les époques et les lieux, et aucune d’entre elles n’est universellement acceptée.

      S’adressant délibérement aux sens, aux émotions et à l’intellect.
      Voilà l’essence de ce qui me nourrit et de ce que j’ai souhaité véhiculer dans cet ouvrage. Je ne cherche pas à réduire l’art à cette définition, je produis simplement avec ce que je « sais », et ce que je « suis », sans disposer de vos connaissances (encore une fois très instructives !) en la matière.

      Et pour conclure sur ce point, si le jeu vidéo ne peut pas être considéré comme un art, tant qu’il reste jeu vidéo c’est à dire interactif, et pour vous citer, à cause du fait qu’il « ne place pas le joueur dans une situation de contemplation », mais dans l’idée « de cheminer vers un but […] avec son attention focalisée sur cette fin », je pourrais vous donner des exemples de jeux où l’on sort totalement de ce cadre premier pendant de plus ou moins longues périodes de temps.

      Ces moments de « flow » où le joueur ne fait qu’un avec l’interaction, le jeu et son propos, nous sortent finalement de l’expérience « classique » du jeu vidéo en nous faisant oublier l’interactivité : nous sommes nous-mêmes la continuité de l’expérience de jeu.
      Oubliant ainsi notre statut de joueur, la véritable contemplation de l’œuvre est possible (même si elle demande des actions physiques de notre part, celles-ci ne sont pas conscientes à ce moment là), et la fin du jeu nous est alors étrangère : seule l’expérience de l’instant compte.

      On s’oublie totalement dans le fruit de l’expérience, et encore une fois, dans l’esthétique ET le propos de l’auteur.

      Cela n’arrive pas dans toute la durée du jeu en lui même, mais cela se produit plus ou moins souvent suivant les œuvres pour lesquelles j’ai pu citer le mot « art ».
      Flower, ICO ou Shadow of The Colossus sont de parfaits exemples d’oubli du soi-joueur ET de parfaite conscience du moment, de l’œuvre et de son propos, à l’écoute de nos émotions et de nos sens.

      Et au sujet d’un des jeux que vous citez, The Compagny of Myself, je pourrais vous donner l’exemple de Braid (cité également dans cet ouvrage et vendu dans le circuit désormais classique du téléchargement légal) : tous deux semblent partager certaines idées de la « narration par le gameplay lui-même ».

      Encore une fois, je ne cherchais par à vous faire de démonstration d’une quelconque vérité sur le jeu vidéo et l’art, je tenais simplement à vous expliquer un peu plus la démarche qui se trouvait derrière l’utilisation (abusive, pour certains, chose que je comprends !) de ce mot très fort.

      Je vous remercie une nouvelle fois pour votre commentaire et l’article très intéressant que vous avez partagé.

  4. Stephanos
    13 avril 2011 à 22:51

    J’avais dit que je reviendrais sur cette page, je le fais aujourd’hui. Où cette publication via internet se conclut.
    Car à vrai dire, pour moi en tout cas, ton site/livre et ‘Flower’ (que tu m’as fait découvrir !) ont quelque chose de proche. Peut-être est-ce le « zen » que tu évoques, sûrement.

    Ce que je sens, c’est que tes écrits peuvent être accessibles à tout le monde, comme Flower. Peut-être même plus que Flower, vu qu’il y a plus apparemment un sens auquel s’accrocher.
    Tes écrits laissent l’espace pour respirer et leur lecture fait du bien ; Flower offre une bouffée d’oxygène.
    Les découvertes se font petit à petit, il y a toujours des fleurs cachées, comme ton jardin^^.
    C’est actif de lire, c’est actif de jouer.
    En même temps il y a de la contemplation, de la réflexion.
    Avec Flower tout comme avec tes écrits, c’est la démarche qui est essentielle. Même si pour ton cas les informations que tu apportes sont elles aussi importantes pour le lecteur.
    Flower fait appel aux sens du joueur. Mais toi aussi, surtout dans cette première partie. Le rythme de tes phrases y est très expressif^^ l’aspect visuel aussi.
    Est-ce de l’art ? Peut-être bien. Peu m’importe.
    Ne m’importent que mes émotions pour le coup^^
    Encore une fois, merci 😉

    • ippo
      14 avril 2011 à 09:36

      Merci d’être revenu avec des remarques qui me touchent autant.

      Je souhaitais écrire simplement (=spontanément) pour que le lecteur puisse justement trouver sa propre place sans se heurter à la barrière des mots ou des sens. Trouver sa propre place dans des respirations, dans des silences, et au fond de lui.
      Les sentiments que ces jeux font ressurgir, et que je ne fais que retransmettre, sont accessibles et peuvent « parler au cœur des gens ».

      Ils « peuvent ». Cela n’implique pas qu’ils « doivent », ni que cela allait fonctionner. Je suis vraiment très heureux de voir, encore une fois, que cela ait pu fonctionner avec toi. Cela comble mes espérances !

      « Est-ce de l’art ? Peut-être bien. Peu m’importe. »
      Exactement ! Mais je ne recherche pas à être un artiste, ce n’est pas un objectif ni une ambition et encore moins une prétention.
      Mais je cherchais à créer quelque chose. C’est cette « création » qui était mon objectif, pas d’être un « créateur ».
      Les étiquettes me gênent, et au fond, ce qui compte, ce sont les émotions. Oui !

      Encore merci à toi 😉 !

  5. 12 Mai 2011 à 14:44

    Je comprends mieux pourquoi Jenova Chen t’a fait de la pub sur Twitter.

    https://twitter.com/#!/JenovaChen/status/67299769453780993

    (Oui, je me doute que tu n’aimes pas ça mais il faut que ça se sache quand même !)

    La forme est vraiment aussi poétique que le jeu dont le texte parle. Quel dommage que tu n’évoques pas ce que tu as ressenti avec les derniers niveaux, qui sont radicalement différents, avec les environnements urbains et oppressants. J’aurais été curieux de lire ça.

    Je n’ai fait que survoler l’article de Freako. Il a l’air bien écrit et intéressant. Mais si c’est vraiment pour dire que le jeu vidéo ne peut pas être un art (thèse avec laquelle je ne suis pas d’accord), alors, pour te contrer :), je vais mettre un autre lien :

    La National Endowment for the Arts (organi gouvernemental pour notamment le financement d’oeuvres artistiques) vient d’intégrer le jeu vidéo dans son programme :

    http://www.gameblog.fr/news_22342_usa-le-jeu-video-reconnu-comme-un-art

    • ippo
      12 Mai 2011 à 15:00

      Merci à toi pour avoir glissé ici la mention du partage concédé par Jenova Chen sur cet ouvrage (et en particulier sur le texte consacré à Flower).
      C’est un honneur pour moi.

      Je te remercie pour ton commentaire ! Je n’ai pas souhaité évoquer l’ensemble des niveaux, parce que cela fait partie pour moi d’éléments qui doivent être vécus via l’expérience même du jeu. Ainsi, de la même manière, je ne dévoile pas un très grand nombre d’éléments, qui pourtant m’ont touchés, dans d’autres textes. Je ne souhaite pas voler l’expérience, en quelque sorte, de ceux qui n’auraient pas joué aux jeux dont il est question.

      En ce qui concerne le jeu vidéo et l’art, j’ai également mon idée sur la question même si je ne lui accorde pas d’importance au fond. Mais tu fais bien de relayer cette information récente sur le statut du jeu vidéo aux Etats-Unis !

      Encore merci pour tes retours, Seb 😉 !

  6. 12 Mai 2011 à 15:29

    De rien 🙂

    Effectivement, tu ne veux pas spoiler les gens : c’est tout à ton honneur.

  7. Stephanos
    24 Mai 2011 à 00:36

    Une recommandation de Jenova Chen en personne 🙂 !
    Le parallèle que j’avais fait entre Flower et ton ouvrage en semble presque matérialisé :p
    Le texte n’est pas écrit dans sa langue, par quel bonheur a-t-il pu découvrir et lire cette page – Sacré concepteur de jeux vidéos^^
    Un bel hommage que vous vous faîtes mutuellement en tout cas;)

    Je vois qu’il ne faudra plus que je m’absente pendant si longtemps, on manque trop de choses:/ La Passion des Émotions a bel et bien une longue vie devant elle

    • ippo
      24 Mai 2011 à 10:01

      Merci pour ta venue, une nouvelle fois, en ces lieux, Stephanos !
      En fait je lui ai écrit un assez long email pour lui parler du texte sur Flower et du message que je souhaitais faire passer avec l’ouvrage. Une main tendue, un peu, de la même manière que ce qu’ils font avec leurs productions (une main que l’on voit concrètement d’ailleurs, je m’en suis rendu compte après coup, sur le logo de thatgamecompagny).
      Sa réponse fut vraiment touchante.
      J’espère que ceux qui, comme toi, m’auront lu jusqu’au bout, sauront qu’il ne s’agit pas ici d’une quelconque arrogance ou prétention de ma part, mais je me permets de copier ici les mots de Jenova Chen qui furent pour moi un bien beau présent :

      I can feel the emotion you imbued to your words. Your article itself gives me chills, letting me see the game in a different perspective. thatgamecompany is created to broaden the emotional range of video games. I felt the book you are writing is very relevant to what we do.

      A vrai dire je ne ressens pas de fierté non plus, je suis juste heureux d’avoir pu partager quelque chose avec lui autour de son jeu, et de son regard sur le jeu vidéo tout court.
      Partager.
      C’est tellement formidable d’avoir pu « partager » avec le créateur d’un jeu avec lequel j’ai pu ainsi ne faire qu’un.

      La Passion des Émotions connaît encore quelques soubresauts grâce à vous, sincères et constructifs joueurs passionnés qui souhaitez y contribuer par vos commentaires. Je ne sais pas si elle a une longue vie devant elle… je pense que sa vie à venir dépend maintenant de ce que j’en ferai, et de ce que l’on voudra bien en faire.
      Mais vous lui avez donné sa chance !
      Et je te remercie encore Stephanos, et je vous en remercie tous une nouvelle fois par la même occasion !

  8. 24 Mai 2011 à 09:06

    T’as vu cette classe internationale !!

    Et le pire, c’est qu’il l’a lu via une traduction automatique, c’est dire !

    • ippo
      24 Mai 2011 à 10:19

      J’ai surtout eu beaucoup de chance que Jenova Chen veuille bien prendre ainsi sur son temps personnel pour lire ce texte (encore plus, par le biais d’une traduction automatique). C’est vraiment une belle chance pour moi !

  9. Stephanos
    5 juin 2011 à 23:14

    Il est touchant ce message qu’il t’a envoyé ! C’est une belle histoire:) Merci à toi Ippo. Et merci Jenova Chen !
    Au fait, tout récemment j’ai découvert « Cloud », son premier jeu. Il est superbe lui aussi (très proche de Flower)- avec des musiques magnifiques de Vincent Diamante.. Hâte de découvrir l’expérience Journey !

    • ippo
      6 juin 2011 à 09:06

      Oui ! Très touchant.
      Cloud, je l’ai vu en image et en mouvement sans n’y avoir moi-même joué. C’est une chose que je vais réparer maintenant que tu en parles ! Merci.

      Journey est sans doute l’expérience de jeu qui m’attire le plus pour cette année.

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